votre histoire
Everything that kills me makes me feel alive
Il sentît ses articulations craquer. Il n'y avait aucun doute là dessus. Et la mâchoire de l'homme face à lui dévia sous la pression du coup que Aaron venait de lui porter. Il sentît aussi sous ses phalanges la dureté des dents de son adversaire à travers sa joue. Dents qui entaillaient certainement la chaire vu la violence du coup. L'individu s'étala sur le sol et ne se releva pas, sûrement K.O. Aaron le fixa pendant quelques longues secondes, ses muscles tendus, comme des picotements partout dans le corps. Et finalement on vînt lui taper amicalement dans la nuque et il reprît conscience de son entourage avec tous ses camarades de combat qui hurlaient pour célébrer sa victoire. Il sourît doucement et essuya la sueur à son front. Il souffla et détendît les poings, fronçant les sourcils légèrement alors qu'à nouveau, ses os craquèrent. Il retira les bandage qu'il avait mis autour de la base de ses doigts et épongea sa nuque, son cou et son torse avec. Il attrapa sa bouteille d'eau, reculant pour laisser le champ libre à de nouveaux combattants. Il se rinça la bouche du goût ferreux qui lui harcelait la langue depuis de longues minutes. Ensuite, il récupéra sa veste et l'enfila, la fermant seulement à mi-buste. Il avait encore trop chaud. Et une fois fait, il regarda l'heure à la montre qu'il avait glissé dans sa poche avant le début du combat. Il était 1h passé... Bellamy allait encore lui demander où il avait passé la nuit. Il souffla doucement et prît la direction de sa voiture, saluant au passage les habitués de ce genre d'événement, ceux qu'ils connaissaient le mieux, à qui il avait certainement déjà cassé une ou deux dents voire le nez, l'arcade ou même un genoux. Il n'y avait pas de limite dans le combat de rue. Il fallait frapper. Juste frapper. Pas de règles en plus sinon d'essayer de ne pas tuer le mec en face de soit. Pour éviter les problèmes. Pour que les flics ne les arrêtent pas. Il y avait déjà eu des accidents importants, graves. Mais il n'y avait pas de rancoeur. C'était le risque. C'était convenu.
Il conduisît jusqu'à l'appartement et monta aussi vite que le lui permît sa cheville un peu démise. Elle avait failli lui coûter la victoire ce soir. Il entra aussi discrètement que possible chez lui et se dirigea de la même façon jusqu'à la salle-de-bain. Là, il cacha son pantalon et ses baskets tachés de sang dans un sac poubelle et partît à la douche pour se laver. Il en ressortît, complètement nu, chopa le sac poubelle qu'il cacha dans son bureau, là où Bellamy n'entrait jamais. Puis il entra dans la chambre, se faufila dans le lit, encore un peu mouillé et se colla au dos de sa petite-amie. Il la sentît frissonner et elle grogna un instant, se retournant vers lui, certainement dans la ferme intention de lui demander où il avait encore été filer cette nuit. Il la coupa en l'embrassant, allant câliner sa langue brûlante de la sienne. Puis il la fît basculer, lentement, l'allongeant sur le dos et recouvrant son corps du sien. Ses grandes mains allèrent déshabiller le corps brûlant de la brune dont il était amoureux depuis des années maintenant et comme à chaque fois, il lui fît l'amour, dévorant sa bouche, sa peau et tout ce qu'elle lui offrait. Il ne s'en lassait jamais. Jamais...
Il la regarda ensuite dormir, clope au bec, souriant alors qu'à la seule lueur de la lune il pouvait voir sa silhouette sensuellement alanguie dans le lit, le drap couvrant ses courbes à la perfection, les laissant facile à deviner sous la fluidité du tissus. Il caressa délicatement ses cheveux épais dont il était fou avec un sourire. Il ne pouvait pas lui dire. Il ne pouvait pas lui avouer. Il pensait qu'elle ne comprendrait pas, qu'elle voudrait le quitter. Alors tant qu'il le pouvait, il lui cachait la vérité. Pour la garder. Pour qu'elle ne parte pas. Pour que chaque soir elle soit encore là à l'attendre. C'était quelque chose de rassurant. Elle l'apaisait. Il éteignit sa cigarette avant de venir s'allonger tout contre elle, enlaçant leur corps encore nus.
Mais au début... ces combats étaient irréguliers. Ils étaient ponctuels. Ca arrivait de temps en temps. Et puis... ça devînt plus fréquent. Beaucoup plus. Et plus dur, plus violent. Un seul combat par soirée ne suffisait plus. Il lui en fallait plus. Toujours plus. Parfois il se démenait, donnait tout et mettait son adversaire à terre avec une force déchaînée. Et parfois c'était l'inverse. Il se laissait faire, complètement. Il feignait de monter sa garde, d'esquiver quelques coups mais au fond, il provoquait souvent les coups et cherchait à se les prendre. A répétition jusqu'à lui même tomber au sol, sonné et dans l'incapacité totale de se relever de lui-même. Suite à quoi... il se retrouvait à l'hôpital. Et nulle autre personne de son entourage n'était contactée que sa petite-amie. Elle était son numéro d'urgence dans son répertoire téléphonique. Peut-être aurait-il dû prévoir le coup et choisir quelqu'un d'autre.
Il se souviendrait toujours de la première fois où elle était venue le chercher. Elle paraissait affolée, en proie à une panique sans nom. Elle lui avait pris les mains mais les avait vite lâcher alors qu'il avait laissé passer un geignement. Puis elle avait tenté de lui caresser la joue mais s'était ravisée en voyant le bleu qui s'y étendait. Finalement, elle avait opté pour ses cheveux et les avait longuement caresser. Elle n'avait pas posé de question. Pas tout de suite. Pas devant les médecins. Il était reparti en béquille, à ses côtés. Elle, portant quelques unes de ses affaires. Lui, n'osant même pas la regarder. Il savait déjà qu'il allait devoir faire face à un interrogatoire dès lors qu'ils seraient rentrés. Et ça ne manqua pas. «
Où t'étais ? » demanda-telle d'abord, simplement. Et lui ne répondît pas tout de suite. Il se posa dans le canapé pour commencer, soufflant doucement. «
Nulle part. » répondît-il après un instant. Il posa l'arrière de sa tête contre le dossier du sofa avant de sentir ce dernier s'affaisser légèrement, signe qu'elle venait de s'asseoir. Il ouvrît ses yeux bleus, dont l'un était mi-clos et gonflé, la peau violacée voire tirant sur le noir. Il avait un fabuleux cocard. «
Et c'est nulle part que tu t'es fait casser la gueule peut-être ? » demanda-t-elle, sûrement un peu agacée de sa réponse détachée. Finalement il vît l'inquiétude reprendre possession de son regard. «
Qui t'a fait ça ? » dît-elle doucement en venant frôler sa joue. Il lui sourît doucement et vînt prendre sa main. «
Personne... ne cherche pas Bellamy. Ce n'est pas important. » Il voulait juste clore la conversation. Rien ne servait de l'inquiéter plus que ça. S'il lui disait la vérité... elle ne le supporterait pas. Qui le supporterait ? Elle voulût partir, vexée sûrement qu'il n'en dise pas plus mais il la retînt et la prît contre lui, caressant ses cheveux. «
Hey... ça va, ok ? » souffla-t-il en collant son front au sien et en allant câliner son nez avec le sien. «
Je t'aime... » chuchota-t-il avant de l'embrasser doucement. Et elle se laissa aller à ses baisers, oubliant, l'espérait-il, ce petit écart de conduite de sa part.
Mais l'histoire se répéta. Au début, elle continuait à poser des questions, certainement dans l'espoir qu'il lui réponde enfin un jour, qu'il lui explique d'où lui venait ces marques, ces bleus, ces fractures. Et toujours, il détournait son attention, il refusait de répondre. Parfois même, il s'emportait et l'accusait d'être oppressante. Ce qui était faux. Mais il cherchait à projeter la culpabilité sur elle plutôt que d'assumer et d'avouer ses torts. Il était comme drogué, shooté à la violence et à la douleur. Et les derniers mois, il y allait tous les jours. Chaque soir. Il ne pouvait plus s'en passer. Plus du tout. Et chaque soir, elle le récupérait en lambeaux à l'hôpital. Et chaque soir... ils s'engueulaient. Jusqu'à ce soir là. Le fameux soir. Le soir où il dépassa les bornes. Il y avait eu ce combat. Il n'avait pas eu le temps de beaucoup combattre. Seulement une petite bagarre de rien du tout. Un échauffement. Et puis il y avait eu ce nouveau. Un mec qu'il n'avait jamais vu. Aucun de la bande d'ailleurs ne le connaissait. Un des anciens, Tobias, celui qui avait ramené Aaron dans la bande et qui par la même occasion, était devenu un ami à lui, s'était frotté à cet inconnu. Ils s'étaient battus. Et Aaron regardait ça de l'extérieur, encourageant son camarade de toute sa ferveur. Mais l'individu que personne ne connaissait avait de la force, de la rage, de la fureur. Et il déversa toute sa puissance sur le visage de Tobias. Et Tobias tomba. Et le bruit que fît son crâne contre le bitume lorsqu'il tomba ne présageait rien de bon. Aaron se jeta sur lui et tâcha de le ranimer, lui hurlant de réagir, de se réveiller. Tout le monde se dispersa mais lui, il resta et appela les urgences. Alors que jamais aucun membre du groupe n'avait succombé à ces duels au corps à corps, il avait fallu d'un nouveau pour qu'un drame pareil arrive. Tobias décéda des suites de ses blessures. Et Aaron ne rentra qu'au petit matin. Et il trouva une Bell morte de peur, en panique totale qui se mît à lui rabattre les oreilles à grands coups de question. «
Où t'étais ? » répétait-elle. «
Pourquoi il y a du sang sur tes fringues ? » s''horrifiait-elle. «
Répond ! » continuait-elle de dire comme une litanie. Et son prénom, sur des tons accusateurs, interrogatifs. Et lui, muré dans le silence qui refusait de laisser passer la moindre information. Et puis cette phrase, cette fameuse phrase. «
Aaron... réponds moi ou je... » commença-t-elle et le sang du brun ne fît qu'un tour. «
Ou quoi Bellamy ? Qu'est-ce que tu vas faire, Bellamy ? Tu vas continuer de me harceler, Bellamy ? Tu vas continuer de m'oppresser à grands renforts de questions stupides, Bellamy ? » Il s'était rapproché, dangereusement, le regard menaçant. Il ponctuait chaque phrase du prénom de sa petite-amie qui à l'instant même n'avait dans son esprit plus que l'image de l'ennemi. Il fallait qu'il se défoule, qu'il craque. Et c'était sur elle que ça allait tomber. «
Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans mes silences, hein, Bellamy ? C'est pourtant clair, bordel ! Je ne veux pas te répondre ! » Son ton s'était fait doucereux pour les quelques premiers mots avant qu'il ne se remette à crier. «
Tu me casses les couilles, Bellamy ! » lâcha-t-il à nouveau, donnant un grand coup dans le mur. « Qu'est-ce que tu vas faire si je ne te réponds pas, Bellamy ?! » répéta-t-il. «
Tu vas me quitter ?! Tu vas me larguer comme une merde, Bellamy ? C'est ça ta solution miracle ? C'est ça ta menace Bellamy ?! » Encore et encore, ce prénom résonnant comme une coup de poing. «
Eh bien BARRE-TOI ! » hurla-t-il finalement. Le visage à deux centimètres de celui de la brunette qui avait reculé contre le mur, il fulminait, respirant bruyamment. Si elle ajoutait ne serait-ce qu'un mot... «
Aaron... » Et le coup partît. Une gifle... ou un coup de poing, il ne s'en souvenait plus très bien. Tout ce dont il se souvenait était que le geste avait fendu l'air avant de violemment s'abattre sur la joue de la jeune femme. Et de l'intense soulagement qui l'avait parcouru à la suite de cet acte.
Elle était tombée par terre. Et à l'instant même où il la vît ainsi, étalée sur le sol, tout s'envola. La colère. La fureur. Ne laissant place qu'à un désarroi total. «
Bell... » souffla-t-il, inquiet. Inquiet de l'état de la jeune femme ou de ses propres réactions, il n'en savait plus trop rien. Il tenta de se rapprocher d'elle mais elle recula, s'éloigna de lui aussi vite qu'elle pût. Sa joue était écarlate. Et elle avait la lèvre fendue, le sang commençait à y perler. Et il en était coupable. Il s'accroupit et tacha de se rapprocher mais elle recula encore. «
Ne t'approche pas !!! » cria-t-elle et elle se leva précipitamment, s'éloignant de lui et partant s'enfermer dans la chambre. Il se releva lentement et fixa la porte close un long moment. Comment avait-il pu ? Il se dégoûtait... Il se dirigea finalement vers le salon, s'avachit sur le canapé et s'y allongea. C'est ici qu'il dormirait cette nuit. Si il parvenait.
Le lendemain, ce fût le soleil qui le réveilla. Mais il n'était apparemment pas le seul à avoir passé une nuit atroce. Elle était dans la cuisine lorsqu'il s'y dirigea. Elle tenait le mug qu'il lui avait offert pour sa fête il y avait de ça quelques mois. Elle ne buvait son café que là-dedans. Elle tourna les yeux vers lui et fronça les sourcils. Elle n'avait pas besoin de parler. Sa joue était encore marquée du coup qu'il lui avait donné et sa lèvre cicatrisait à peine. Il ne dît rien, prenant simplement une autre tasse et y versant du jus d'orange, optant pour la boisson la plus proche de lui pour ne pas avoir à passer tout près d'elle. Pour qu'elle ne prenne pas peur. Il bût silencieusement en lui jetant un coup d'oeil. Elle était encore en pyjama, dans ce tee-shirt trop grand pour elle qu'il adorait étirer en se glissant dedans avec elle. Ou qu'elle avait aimé déformé avec un coussin, imitant une femme enceinte. Plusieurs fois, il s'était laissé aller à imaginer ce que ça pourrait donné, s'ils décidaient un jour d'être parents. Mais ils étaient jeunes. 23 ans pour elle, 26 pour lui. Et aujourd'hui, de toutes manières, c'était fini. Il avait lui-même sonné le glas de leur relation. Il termina son jus d'orange et posa la tasse dans le lave-vaisselle. Il frotta sa nuque et la regarda à nouveau. Mais elle, elle ne le regardait plus. «
Je vais faire mes valises... je pars dès que c'est fait. » annonça-t-il. Et sans ajouter d'autre mot, il partît vider leur dressing commun de sa partie de vêtements. Il récupéra aussi les affaires dans son bureau. Pour les meubles, ils pourraient toujours en discuter par téléphone. Plus tard. Quand les esprits seraient apaisés. Si un jour c'était seulement le cas... Sa grosse malle remplie à raz bord, il se dirigea vers la sortie. Ouvrant la porte, il regarda derrière lui une dernière fois, espérant la voir, juste quelques secondes encore. Mais elle ne vînt pas. Alors il soupira, salua l'appartement d'un hochement de tête et sortît.
Et sans elle, il n'y avait plus de stabilité. Il n'y avait plus rien pour l'empêcher d'outre passer les limites. Sans elle, il n'avait plus d'équilibre. Les jours qui suivirent, il s'en souvient aujourd'hui à peine. Combat sur combat. Tous les soirs. Toute la nuit. Et il se laissait aller. Encaissait les coups. Ca le soulageait. La souffrance le soulageait. La douleur lui faisait du bien. Il oubliait sa culpabilité. Il oubliait sa peine de cœur. Et la petite voix qui lui trottait dans la tête. Celle qui lui disait «
tu n'es qu'un crétin » ou bien encore «
tu as tout gâché ». Celle encore qui lui répétait «
elle t'aimait et tu l'as perdu à jamais ». Oui. Il savait tout ça. Il le savait. Mais il voulait l'oublier. Alors il se laissait battre. Il se laissait massacrer. Il finissait à l'hôpital tous les soirs. Et finalement, il y eût un soir où il n'en eût pas le temps. Il ne se retrouva pas aux urgences. Non. Il se retrouva en taule. Carrément. En garde-à-vue. La police, suite à la mort de Tobias, était remontée jusqu'à Aaron. Sans qu'il n'en sache rien. Et à cause de lui, organisateurs comme combattants de ce club illégal se retrouvèrent écroués. Pas tous. Pas les plus chanceux. Pas ceux qui n'étaient pas là, le soir où les flics étaient intervenus. Pas ceux que personne n'avait vendu. Mais Aaron, oui. Il fût le premier à être chopé. Il était celui que le flic qui le tenait présenta aux autres comme celui qui avait permis cette arrestation. «
Tout le monde remercie ce gars-là sans qui cette belle descente n'aurait pas pu avoir lieu ! » avait-il lancé, voulant provoquer la colère du groupe. Et ça ne manqua pas. On l'insulta de tous les noms. Ses anciens camarades ne voyaient plus en lui qu'un enfoiré, qu'un connard fini. La discrétion était maître mot si l'on voulait participer à cette organisation. Et il avait cruellement manqué... de discrétion. Maintenant, il en avait pour sept ans de prison ferme. Sept ans. C'était tellement long, sept ans.
Cinq ans plus tard pourtant, il mît un pied dehors. Il respira profondément l'air extérieur, apprécia la brise qui vînt lui fouetter le visage et il regarda le ciel avec un léger sourire. Libéré pour bonne conduite. Il n'allait pas se plaindre. Deux ans de moins à vivre dans un trou, ça restait deux ans. Il avança, mains dans les poches en direction de la ville. Personne n'était venu le chercher. Personne n'était d'ailleurs venu le voir pendant ses cinq années d'incarcération. Qu'importait. Il l'avait mérité. Tordu comme il était, qui voudrait avoir à faire à lui ?